#4 – Février / February 2022

Sophie Loizeau

Le pluriel équitable

Réflexions sur la visibilité du féminin dans la langue

A propos du terme écriture inclusive breveté par Raphaël Haddad en 2016 – ce qui n’ôte rien à toutes les pratiques discursives réfléchies et tentées bien avant par les féministes (qu’il l’ait breveté, je veux dire) : plutôt qu’inclusive, je préfère dire quant à moi écriture explicite puisqu’elle sort le féminin de l’implicite où il était maintenu jusque-là ; seul le contexte permettait de déceler le féminin sous le masculin.

J’ai toujours pensé le féminin non pas comme exclu, mais comme caché, caché à la vue, à la langue elle-même – voire écrasé, fondu dans le grand tout masculin. L’en sortir a été tout l’enjeu de la Trilogie de diane.

Mais cette réflexion a pris forme avec la préécriture de La Nue-bête en 2001 (Comp’Act 2004 / L’Amandier 2013).

Mon tout premier essai de pluriel équitable se trouve à la fin du livre :

Que chacun chacune ici en soit remercié/e

 

Extraits des Notes in Les Epines rouges 

25. Ials [jal] pour eux, dérive de eals [eal] (in Féerie, Pour réparer). A l’usage ials est plus souple. Al / als / ials (à la place du neutre il / à la place de ils / à la place de eux).

26. Als [al] pour il et elle (revu quant à la prononciation, in Féerie), pluriel équitable fondé à partir du neutre al (première occurrence dans Caudal). Ce pronom désigne plus largement l’écriture inclusive elle-même, et de manière plus juste. Car si on regarde bien, le féminin est moins exclu, que « sous », que caché (…) A propos : Als / als en dit plus long que iel / iels. Fusionner il et elle (en 2007 au moment de l’écriture du Roman de diane, j’avais bricolé un hybride), n’est pas pareil que d’inventer un vrai neutre et ne répond pas à la question linguistique de la transidentité. Neutraliser le genre au pluriel (quand cela s’impose, quand le masculin menace de tout recouvrir) permet la coexistence dans la langue non seulement du féminin / masculin, mais aussi du transgenre. Al poète est le fin du fin de la fluidité queer.

Mais c’est une base de travail, et le fait que le Petit Robert le recense est plutôt réjouissant.

Pour ce qui est du neutre il, dont  j’ai interrogé l’arbitraire dans La Femme-lit m’essayant à des expériences de substitution : elle à la place de il, pour voir, pour me déshabituer, et bien elle, son usage est trop sexué. En revanche al convient.

al fut un temps est une réponse
motivée par rapport à la question de la prééminence du genre

In Caudal, Flammarion 2013

entre ials c’est la force des aimants
als jouissent dans leurs mains dans leur bouche
se retrempent au cœur de leur vieille amour  

In Féerie, Le lai de Vibrisse, Champ Vallon 2020 

Pour le pronom personnel lui (COI), toujours au masculin, j’ai proposé de le remplacer par la lorsque qu’il se réfère à un nom féminin comme dans :

on la la arrache. il n’y a pas d’objet à chercher
en dehors d’elle, pas de contexte elle est son propre objet qu’on saisit
à elle-même

in La Femme lit, Flammarion 2009


elle a les yeux salés par la mer, je les la lèche – je le fais, l’écriture le fait, lécher Nina aux yeux pour adoucir le sel

in Caudal

Et j’emploie le pluriel équitable avec la barre oblique. La barre souligne mieux, je trouve, l’équivalence absolue masculin / féminin :

Als sont émerveillé/es.


Comment s’en tirer à l’oral ? En forçant la diction à la manière des tragédiens et tragédiennes classiques : Als sont émerveillé/s. De sorte qu’on entende bien là aussi la présence du féminin. La poésie peut outrer le principe, elle fait ce qu’elle veut.

J’utilise par ailleurs l’accord de proximité : Des hommes et des femmes belles, et lorsqu’il y a un homme et deux femmes dans une pièce, je dis elles, als, si je suis parfaitement courtoise. 

Cette réflexion, je n’ai cessé de la poursuivre et de l’affiner.

En 2004, je commençais d’écrire le premier volet de la Trilogie de diane, La Femme lit, trilogie féministe qui avait pour projet de renverser la suprématie du masculin dans la langue, d’outrer le principe, de dénoncer l’arbitraire du signe. J’ai appelé grammatisation ce processus de renversement systématique.

Ce livre est  un manifeste.

Que penser du terme « poétesse » ?

Trop sexuée à mon goût, et trop extravagant. C’est à cause du -sse, triomphe de la féminité comme dans enchantere-sse, prince-sse (dans notre culture, dans notre langue il y a toujours un préexistant, un modèle de base à partir de quoi décliner, et il est masculin). Poétesse est trop connoté, hélas, c’est dommage parce que ce mot est magnifique, il renvoie trop à l’ultra féminin et au dilettantisme, or la poète est avant tout… poète.

La poète, l’auteure, l’autrice, l’écrivaine (ou l’écrivain) – de toute façon c’est vanité à la fin pour les deux sexes –, la peintre, la musicienne, la plasticienne… Il est important de différencier pour faire exister l’autre dans la langue. D’accord pour créer le mot s’il n’existe pas, ou s’il a disparu (autrice).

Je trouve important de mettre De la même auteure (ou De la même autrice) dans un livre – La Nue-bête inaugure cela – au lieu de Du même auteur.

 

Trois extraits d’entretiens

1/ Entretien Mediapart avec Patrice Beray, en 2019

Patrice Beray : Cette conscience inclusive des éléments naturels et des êtres, que l’on pourrait dire dans la lignée du prophète homme-femme Tirésias, est elle-même sous-tendue par une réflexion sur la féminisation de la langue.

C’est tout le sens de votre trilogie sur le « mythe de diane » (sans capitale initiale, je crois bien) – La Femme lit, Le Roman de diane, Caudal –, élaborée depuis plus d’une décennie déjà. Dans Caudal par exemple, dans un poème donc, vous qualifiez « cet essai sur le genre » comme une « geste », « un « retournement » sur la langue afin « que le féminin recouvre, visible et légitime dans la langue l’usage de ses rennes, son troupeau. / pour qu’à tout le moins ma langue soit sauve ».

Sophie Loizeau : Ma petite diane est le fruit de la grande déesse Diane, elle est vous et moi j’allais dire… une femme qui tâche de rester libre, de vivre selon ses propres principes de liberté. Un peu en marge mais pas trop. J’ai commencé à m’interroger sur le besoin de féminiser la langue française. Toute seule, dans mon coin, j’ai eu l’idée de lier, de combiner entre elles les terminaisons du masculin et du féminin, qu’elles apparaissent sur le même plan, comme une sorte de cubisme verbal. J’ai essayé plusieurs formes : le point, le tiret, la barre oblique. Et cette dernière m’a paru convenir parfaitement à ce que je voulais montrer : une équivalence. J’ai donc systématiquement usé de la barre oblique, comme ceci : réconcilié/es.

[…]

PB : Ne faut-il pas alors parler d’un « langage inclusif », sans qu’il soit nécessaire pour ce faire d’introduire du code écrit dans la langue, avec cette pratique du « point médian ».Ce langage inclusif a bien des manières de s’éployer – des accords de proximité, de majorité…passant par l’usage des déterminatifs « la », « une » pour re-qualifier le genre grammatical d’un mot, entre autres exemples –,et rendre effective cette féminisation désirée, nécessaire de la langue, selon vous.

SL : D’accord avec l’idée de langage inclusif. Ce qui n’exclut pas la pratique de la barre oblique… quand c’est possible, car, à l’oral ça se corse. Mais en poésie, il est nécessaire de la poser, de faire voir cette équivalence des genres. Dans l’art écrit en général. Ce qui avait déclenché ma prise de conscience, et donc, l’écriture de La Femme lit (premier volet de la trilogie de diane), et que je trouvais injuste, c’était la prépondérance du masculin sur le féminin. Alors, j’ai essayé de renverser tout ça, de provoquer cette règle issue du XVII ème(elle remplaçait celle de l’accord de proximité, qui était logique, c’était donc bien politique !) On est dans le symbolique, tout est important. On doit faire attention. 

 

2/ Entretien (revu) avec Jan Baetens in PLACE 2 en 2020

Jan Baetens : Tes premiers recueils (dont La Nue-bête, 2004, Prix Georges Perros, et Environs du bouc,  2005, Prix Yvan Goll) se sont fait remarquer par leur thématique inhabituelle, je veux dire hélas trop peu représentée dans le paysage poétique français : la sensualité, celle de la chair, du sexe, de la nature, de la nourriture, de la présence matérielle du monde. Depuis, cette orientation a pris de nouvelles formes, notamment sous l’influence de manières d’écrire plus expérimentales. Comment vois-tu l’articulation de cette sensualité et de la dimension forcément plus cérébrale de la recherche formelle ?

Sophie Loizeau : Dix ans séparent La Femme lit et Les Loups pourtant il me semble qu’il y a là une correspondance de l’un à l’autre. Les Loups ont pris un tour plus universel, la femme persécutée est devenu le monde, a étendu sa détresse aux animaux, aux arbres, à la nature toute entière. C’est la petite diane devenue Diane, la grande déesse enfin. Pour ce qui est de l’audace formelle, La Femme lit est le premier de la trilogie, elle a envie de tout foutre en l’air, le masculin dans la langue tout ça, elle est très en colère. La sexualité y est puissante. La langue y subit déjà pas mal de métamorphoses mais garde son épaisseur (son rapport au réel). Plus que féministe, c’est un livre Femen. En s’aventurant encore plus loin sur le plan formel Caudal (dernier volet de la série) perd sans doute en érotisme. Ce livre est un manifeste. Obnubilée par la langue, par ses capacités, j’y interviens de façon quasi chirurgicale. Pas sensuel, Caudal, mais pas totalement abstrait non plus. Des expériences sont tentées sur le corps : des déplacements, des inventions féministes, et cela donne des étrangetés, des objets linguistiques nouveaux, des perspectives. Car la langue française est d’une richesse extrême, souple faisant jouer ses terminaisons nerveuses, ses nombreux petits os et articulations. Féerie, un prochain livre, très important pour moi, renoue avec le désir et la sexualité tout en  maintenant une exigence formelle – pour qu’advienne quelque chose de confondant. J’entends par confondant : coïncidence (justesse) entre le réel et le corps de la langue. Pas un pur esprit, la poésie.

JB : Dans ton travail, la critique féministe du langage, disons plus exactement de la langue française car toutes les langues sont différentes à cet égard, se fait très nette. Même si tu ne dis pas comme Roland Barthes que le langage est fasciste, tu insistes sur le fait qu’il est masculin, pétri de préjugés patriarcaux. Cette critique se voit facilement au niveau du vocabulaire, dont tu casses le clivage masculin/féminin, et des formes non-inclusives, que tu interroges et inquiètes diversement, jusqu’à faire des « fautes ». Mais que dire de la syntaxe ? Comment la masculinité se traduit-elle au niveau de la phrase, et comment se traduit alors la critique féministe ?

Et par ailleurs : Est-ce que tu accepterais le rapprochement de ton travail sur la langue avec l’ « écriture féminine » des années 1970 ou est-ce que tu considères ce courant politique et littéraire comme un tremplin, comme un modèle sinon à dépasser, du moins à reprendre sur de nouvelles bases et dans de nouvelles perspectives ?

SL : Cette révolution des femmes en littérature, ces revendications en faveur de la différence ou de l’égalité, me touchent de plein fouet à rebours. Si je jouis d’une telle liberté aujourd’hui, sur tous les plans, c’est bien grâce à ces femmes courageuses. J’oscille, entre affirmer cette différence sexuelle (j’ai pu dire qu’il y avait une écriture spécifique des femmes, du fait de leur corps spécifique, mais le physiologique et le culturel est tellement mêlés…, quand faire la part entre le corps et les contraintes du milieu où évolue ce corps ?) Les grands bouleversements en littérature, c’est que les femmes soudain, et plus quelques unes, s’en emparent, s’emparent de la littérature jusque-là l’apanage des hommes. Et donc, elles ont tant de choses à raconter les femmes, de leur point de vue, que le monde ignore ! Depuis le temps qu’elles se taisaient, qu’elles étaient coupées d’elles-mêmes en tant que sujet pensant et désirant, en tant que sujet entier. La sexualité et le désir sont les premiers récits, sont les premières armes des femmes écrivains.  Réappropriation, et ce n’est que justice, puisque le corps des femmes fut l’appartenance des hommes en terme de fantasmes et d’écriture du fantasme. De projection aussi, pour les plus subtils. Le féminin comme subversif, sexualité / désir, le corps de la femme jouissant pour son propre compte et ressenti de l’intérieur par les concernées et plus objet. Le corps féminin sujet de lui-même hante l’écriture des femmes durant les années 70,  est le corpus.

Alors, oui, la liberté d’écrire en tant que femme est directement la preuve que la révolution a eu lieu. Mais, cela concerne surtout le roman, la fiction. La poésie a peu compté de femmes, pour moi, la poésie est née des femmes à la fin du 20ème siècle. Car la poésie fut le dernier bastion masculin, le genre « noble » de la littérature en somme. Les poètes intéressants et novateurs sont principalement les femmes aujourd’hui. Cela tient à la forme poésie, extrêmement intelligente et plastique, un endroit où exprimer la complexité du monde. Les poètes femmes n’ont pas fini de s’interroger sur le monde, d’interroger le monde, cela fait si peu de temps qu’elles peuvent le faire. Mon apport féministe concerne la structure de la langue française elle-même. La grammaire, le vocabulaire, l’orthographe. J’ai voulu forcer le trait au début, dans ma Trilogie féministe. Pas de pluriel équitable (sauf dans mes remerciements), un renversement arbitraire, pour voir : le féminin l’emporte à tous les coups sur le masculin. Le neutre masculin devient neutre féminin (je m’essaie dans Caudal à l’invention d’un neutre qui ne soit pas sexué) – pour montrer comme il est facile de manipuler la langue, d’assouvir un pouvoir, de dominer l’autre. De la façon dont une langue est structurée, on peut comprendre qu’elle est l’outil du pouvoir, éminemment politique. Et de quel côté elle penche.

En poésie (et dans ma correspondance parfois), j’accorde toujours l’adjectif en nombre – si le féminin est plus nombreux, c’est le féminin qui l’emporte, si il y a égalité, le pluriel équitable s’impose. Par ailleurs, lorsqu’il y a plusieurs termes, j’applique la règle de proximité. Avant qu’on oblige la langue à se soumettre à la règle du pouvoir monarchique machiste, c’était cette règle de grammaire qui prévalait. Si le dernier nom était au féminin, c’était le féminin qui l’emportait. En écrivant ainsi, on n’agit pas que sur les signes manifestes de la différence : les marqueurs habituels du genre. Mais quand même, bien malin/ maligne qui pourrait savoir si tel roman de nos jours est d’un homme ou d’une femme. Sauf à afficher sa misogynie, ce qui peut s’avérer très vendeur, hélas.

Le pluriel équitable que je note avec la barre oblique (ni tiret ni point ni parenthèses : la strict équivalence) m’est apparue nécessaire (je peux dire que dans mon coin je l’inventais. C’était lors de l’écriture de La Femme lit). Mais les poètes ne sont pas consulté/es sur les questions essentielles. Les poètes dont la langue et le langage sont la matière première, qui sont les vrai/es inventeurs/trices, n’existent pas. On nous fait croire que tout vient des sciences sociales…

 

3/ Entretien avec Armelle Leclerc pour la revue Les Cahiers d’Eucharis #3 en 2020.

Armelle Leclerc : L’écriture inclusive et vous ?

Sophie Loizeau : ça commence par « De la même auteure ». Dès que j’ai eu un deuxième livre, dès La Nue-bête (paru en 2004 mais écrit en 2002 / 2003), j’ai tenu à me sortir en tant qu’auteure de la formulation d’usage qui n’était plus interrogée à force, et qui ne m’était pas adressée au fond. Premier acte fort, on est dans le symbolique, c’est là qu’il faut frapper. Audrée Wilhelmy, une jeune auteure québécoise, l’a fait dernièrement dans un beau roman Le Corps des bêtes. Ça m’a fait plaisir de voir ça. Mes préoccupations de la place du féminin dans la langue, je peux les dater de 2004, du moment où je débutais l’écriture de La Femme-lit, livre-manifeste qui renverse les conventions, expérimente quand le féminin l’emporte (ce qui se passe dans la lecture) pour interroger l’arbitraire de tout ceci, qui plaide en faveur de plus de visibilité du féminin. C’est très important que le féminin se récupère, ne soit plus incorporé au masculin, ne lui soit plus sous-entendu. « Le masculin (référence au genre le plus « noble ») l’emporte sur le féminin » est un scandale, je suis d’accord qu’il faille bannir cette règle perverse, ne plus la faire apprendre aux enfant/es. Recourir à l’ancienne règle de proximité me semble juste – et logique. Mon écriture tient compte de cela : de ce que Patrice Beray (v. notre entretien sur Mediapart de juin 2019) appelle le langage inclusif,  pris dans le tissu de la langue plutôt que seulement à l’occasion. La Trilogie de diane concrétise ma réflexion sur la coexistence des genres, comment faire pour que masculin et féminin soient représentés ensemble. « Aux enfant/es dyslexiques dont les textes douloureux sont souvent si pleins de trouvailles », cette phrase de remerciement dans caudal m’a satisfaite. Ni séparation, ni ajout, ni entre-parenthèses, mais équivalence, équilibre des présences – et des forces. Nous sommes disposé/es à faire évoluer positivement la langue. Dans Féerie, livre à venir chez Champ Vallon, je reviens là-dessus. Il y a un « Pour réparer » à la fin, j’y expose mes « essais et expériences » pour étendre cette nécessaire présence du féminin aux pronoms quand le masculin est là.

 

Pour réparer

Un pronom personnel spécifique représentant il et elle ensemble manque à la langue (idem pour eux…) – ce manque je l’ai éprouvé (comme injuste) tout le long du livre. Mais j’ai désiré avant tout conserver sa fluidité de lecture à Féerie. A la fin je me devais de réparer.

Dès 2008, à l’époque où je commençais à écrire Caudal, où j’entamais le dernier volet de ma Trilogie de diane qui avait pour projet de renverser la suprématie du masculin dans la langue, j’avais cherché un « vrai » neutre (al fut ma trouvaille). En même temps j’avais cherché une troisième personne du pluriel représentative des deux sexes. Dans une première version du Roman de diane, j’utilise ellil pour ils / ellui pour eux. J’avais opté pour la fusion, par défaut, comme base de travail.

Aujourd’hui je reviens sur cette question avec l’idée d’un pluriel équitable construit sur le modèle du neutre singulier al.

Pour ils (il et elle) : als [al].

Et pour eux : eals [eal] créé à partir du pronom de rappel latin ea (au neutre pluriel) et de al. Dérivé de eals, ials [jal] à l’usage est mieux

 ***

avant je trouvais mon droit-fil et déchirais
le droit-fil au départ de toutes les déchirures

dans ils avaient pris à travers champ même le chien
l’emporte sur la femme ensemble à se promener 

les enseignes, ajouté-je in petto : Pâtissière / Bouchère
l’Entreprise mère et fille / père et fille

***

vainement. mue. poussée. par pur désir

qui trouble qui remonte
mes petites oreilles pivotent
la femelle-mère à elle-soi : le choix du couvert, les bois
plutôt que la prairie
faut-elle qu’elles se cachent
–  politique livre lui diane

***

l’envie de lire chevillée à mon corps.

elle a les yeux salés par la mer, je les la lèche – je le fais, l’écriture le fait, lécher Nina aux yeux pour adoucir le sel
: perd sa neutralité si j’aggrave : je la fais, l’écriture la fait, lécher Nina aux yeux pour adoucir
crire pour écrire. crire fut d’abord. à l’origine de son expérience linguistique

***

cet essai sur le genre, sept ans ma geste mon, retournement celui d’Artémis d’Orphée
elle / il virent. se retournant l’une l’épieur l’autre la spectre

que le féminin recouvre, visible et légitime dans la langue l’usage de ses rennes, son troupeau.
pour qu’à tout le moins ma langue soit sauve

***

l’effroi de la bête prise au milieu des voies, en pleine modernité

affranchir. la bête de l’humain/e (mais pour quel oral
l’humain/l’humaine de dieu la femme
de l’homme. je as diane femme-non lige

en vigueur en sève l’accord de l’adjectif selon la vieille règle neuve
Favre de Vaugelas, oui-jà 

***

au féminin durement écrit – j’ose elle pourfend

préfixe en diane diane signifiant grosso modo le fer de la flèche, la pointe, le petit bout dur. il arme n’importe quel verbe 
les auxiliaires dianavoir et dianêtre 

 In Caudal, Flammarion 2013

***

l’usage a érodé il (neutralisation). elle résolument sexuelle on dirait

nous / vous / ils le masculin pluriel a submergé.
elles s’aiment encore pourtant. comment signifier que elles comprend il alors qu’on subodore la présence de elle dans ils
rien ne prouve qu’elle s’agisse d’une femme et d’un homme –- le contexte bien sûr.
et la coutume

la la prenant avec violence. telle chose à cette femme

au fait, l      ’ exquis d’ambivalence

elle y a nécessité à ce que j’existe visiblement à l’intérieur du texte, à m’emparer à mon tour de ma langue 

***

je tâche de récupérer ce qui a sombré dans le grand tout masculin ; renflouer serait assez juste
mais l’occasion est rare et fabriquer des situations outrer le principe ne m’intéresse pas
la langue telle que conçue des hommes se défend avec subtilité – les liens subtils – souvent l’opération s’avère impossible
à cause du démaillage entraînant (débandade de la langue 

In La Femme lit, Flammarion 2009

Ce travail de rénovation que j’ai porté, venant de la poésie n’a pas essaimé comme il aurait dû malgré le relais de quelqu’un/es qui ont trouvé ça innovant et utile, du jamais-vu en poésie. La poésie est rarement consultée et ce qu’elle crée dans son petit laboratoire ne sort pas de là. Tout ceci restera pure poétique. Au fond, cela avait-il vraiment vocation à essaimer ? C’était plutôt un besoin de réparation personnelle, il me fallait dénoncer certaines injustices et tenter par des faits d’écriture de nouveaux agencements, de nouvelles formes. En trois livres clés sur le sujet, c’était réglé.

Lors du surgissement médiatique de l’écriture inclusive, de tout ce foin autour, je me suis sentie flouée. Mais j’avais fait mon boulot de poète qui est d’inventer lorsqu’il y a manque et de retourner la langue lorsqu’il y a vice ; ce qui arrivait, nécessité par le contexte et bienvenu, ne faisait que rejoindre avec retard mes propres expériences linguistiques nécessaires.

L’usage dira si tous ces bouleversements auront un avenir.