#6 – Janvier / January 2024

Jean-Baptiste Farkas et Éric Watier

Avec ces résidus merdiques qui nous collent aux basques et nous ralentissent 

ENTRETIEN DE CONFINEMENT

Introduction par Jean-Baptiste Farkas

Le texte qui suit est un entretien réalisé durant l’année 2020 entre Éric Watier et moi-même, à savoir en pleine pandémie de Covid-19. C’est Éric qui en a eu l’initiative[1].

Dehors, le monde s’immobilisait. Et quel monde ! On ne pouvait pas se déplacer. La police, l’armée ou la gendarmerie quadrillaient les villes. Par intermittences, les rues étaient désertes. Se procurer des produits de première nécessité pouvait demander de fournir des efforts importants. Cette pause inédite, a-t-on pu entendre à maintes reprises ensuite dans les médias, aurait « permis à tout un chacun de revoir ses priorités ». Cette formule (un raccourci vide, dans de très nombreux cas) me plaît car c’est exactement ce que nous avons fait. Lui, moi, où en étions-nous à cet instant fatidique de notre parcours ? Nous voulions de toutes nos forces le savoir. Le moment s’avérait excellent pour nous recentrer, et l’entretien a été notre outil.

Éric et moi nous connaissons depuis 2004[2]. Nous nous étions déjà prêtés à l’exercice de l’entretien (je l’avais, par exemple, approché à deux reprises, en 2006 et 2019). J’ai toujours été fasciné par le rapport froid qu’Éric entretient avec la destruction. Alors que celle-ci me coûte et me sollicite par des biais toujours plus étranges, tordus et difficiles, Éric s’informe sur elle et garde ses distances. Là où je me consume (avec mon sang chaud), lui se réchauffe (avec son sang froid), en captant les rayons du soleil noir qu’est l’action de détruire.

Des points communs nous rapprochent : nous aimons tous deux les œuvres protocolaires et en abusons. Éric aimait les vinyles et je les aime toujours. Avant même de nous connaître, nous nous sommes intéressés à des mêmes livres et avons pu échanger ensuite à leur sujet. L’artiste allemand Gustav Metzger a eu sur nous deux une influence indéniable. Éric a plusieurs fois mis en pratique certains de mes protocoles, L’annulation d’espaces et Empirer, notamment. J’ai fréquemment utilisé ses inventaires (Plus c’est facile, plus c’est beau, Donner c’est donner) comme points de départ pour des projets collaboratifs, des workshops ou des situations construites dans des contextes pédagogiques.

Si l’entretien est brut, peu réécrit, et donc parfois maladroit, ou même candide, c’est pour laisser appréhender l’échange dans sa sincérité. Nous avons tenté d’exprimer sans retenue ce que nous ressentions relativement à nos œuvres, nos champs d’investigations, nos parcours respectifs. Il est daté, déjà, parce que nous ne sommes plus les mêmes qu’alors, mais ce serait la même chose s’il avait été écrit il y a seulement deux semaines.

Seul le temps dure. C’est probablement un des constats que fait ouvertement cet « entretien de confinement ».

Et Éric ne répond pas à ma dernière question. Ce qui a mis fin à l’entretien, sans que nous nous soyons préalablement concertés sur l’éventualité d’un arrêt.

Mercredi 22 novembre 2023.

 

Jean-Baptiste Farkas : Tu abordes la destruction par le biais du constat, du recensement, de la liste, L’inventaire des destructions en ce sens est un Six Years de Lippard au format ultra laconique, et pourtant tu ne détruis pas toi-même ? Ou alors me trompé-je ? En 2020, je suis encore à détruire comme un fou, des choses entreposées dans des caves, objets, peintures et dessins (restes des années 1990), nombreuses archives en boîtes (restes des années 2000), mais qu’en est-il de toi ?

Éric Watier : Évidement, tu te trompes. Je détruis. Comme à peu près tous les artistes. Je détruis même beaucoup. Tous les grands formats que j’ai pu faire ont presque tous fini à la poubelle. Certains ont été sauvés parce qu’ils étaient chez des amis. Je ne sais pas si c’est bien. Je doute toujours beaucoup de la valeur de ce que je fais.

Quand j’ai commencé à vouloir faire de l’art, en 1981, j’ai détruit tous les dessins et toutes les bandes dessinées que j’avais pu commencer. Je me souviens même qu’un jour j’étais allé chez un très bon ami, Philippe Arnassan, et que je lui avais troqué un petit dessin style bande dessinée que je n’assumais plus, contre un grand dessin prétentieux qu’à l’époque je trouvais meilleur. Aujourd’hui je le jetterais bien celui-là aussi !

Après ça, j’ai toujours détruit au fur et à mesure. Je regrette bien certains travaux, mais surtout parce que ce sont des souvenirs plutôt que des pièces.

Ta position (« Beaucoup plus de moins », « Progresser sans croître », etc.) est devenue extrêmement pertinente relativement aux questions actuelles d’écologie, de décroissance, etc. Je pense que tu es tout à fait conscient de son actualité, mais que tu vois aussi poindre son désamorçage possible. C’est comme ça en tout cas que je comprends ta remarque sur l’art qui n’a pas à être vertueux ( « Hypothèse : le protocole contient tout ce dont à besoin l’œuvre d’art pour devenir vertueuse, ce qui ne signifie ni qu’elle nécessite d’être morale, ni qu’elle s’énonce au premier degré. »). Qu’en penses-tu ?

J-BF : En ce qui concerne le « Beaucoup plus de moins ! », qui fonde toute mon affaire, vers 2001, je constate cette chose étrange, à savoir que le moins est, dans notre société, un silence (tu m’avais dit la même chose, si je m’en souviens bien, très exactement, relativement au phénomène de la destruction en art, et c’est peut-être en partie, enfin j’en suis sûr, ce qui nous rapproche ­— employer notre art pour dévoiler, donner accès à des silences). Réalisant que lorsque je parle de moins et de soustraction personne n’y comprend rien, ou pouffe, je n’exagère pas, l’éditeur Galaad Prigent peut se porter témoin, je me résigne à formuler la chose de façon à ce qu’elle soit compréhensible selon les critères de notre société. Comme cette dernière tolère seulement le toujours plus et l’agrandissement (« Croître sans progresser ») y compris et surtout lorsqu’on lui parle de moins, j’arrête la perspective d’un vide grandissant par l’appellation « Beaucoup plus de moins ! ». Ouf, ça s’arrange dès lors, quelques oreilles attentives s’ouvrent. Je dirais d’autre part que ma position est actuelle de la même façon que le sont mes sources : Anders, Carson, Illich, Roszak. Et Metzger, que j’affectionne tout comme toi, pour certaines de ses prises de position. Parce que nous avons bousillé notre monde n’est-ce pas ? Avec du recul, je réalise combien j’étais « petit d’esprit » en m’insurgeant contre la surproduction d’objets d’art. Quelle importance cela peut-il avoir lorsqu’on apprend que « 2014 serait la première année où la fréquence de vols quotidiens dépasse les 100.000 » ? Sans rien voir de biblique dans ce qui nous arrive, je pense que la pandémie de Covid-19 nous met, mais je ne sais s’il faut écrire « enfin », au pied du mur, c’est-à-dire au devant d’une situation que nous tentons de fuir par tous les moyens depuis, allez, une bonne soixantaine d’années, sinon plus.

Ta question maintenant, pardonne-moi pour cette longue digression : le danger de ma position est qu’on peut très facilement la connecter à la morale. « Beaucoup plus de moins ! » peut être interprété comme étant malthusien. C’est tellement vrai que lorsque j’ai vu apparaître l’appellation « produit vertueux » (qui est une autre façon de dire produit éco-responsable), cette zone de contact mêlant la production au monde de la morale m’a beaucoup déstabilisé et m’a fait continuellement réfléchir. L’œuvre que j’imagine a quelque chose de ce « produit vertueux ». Mais problème : en art à mon avis, il ne faut surtout pas parler d’œuvre d’art vertueuse, car le projet même de vertu contredit pour moi totalement l’artistique, qui est sauvage, salaud et parfois dévastateur. Mais quelle notion proposer dès lors ? Comment garder ce qu’il y a d’authentique dans cette image de « produit vertueux » sans me fourvoyer ?

Et par désamorcer, peut-être sous-entends-tu qu’un positionnement comme le mien, au vu de l’évolution de notre monde, sera récupéré, neutralisé, amorti ?

Pour rebondir sur ce que tu dis de tes propres destructions, c’est intéressant parce que justement, à ma connaissance, tu t’es gardé d’apparaître dans ton propre inventaire, et tu y as laissé entrer les autres, avec leurs narrations, à la façon d’un collecteur de dons. C’est pourquoi ton propre rapport à la destruction m’intrigue autant, et pour moi tout ce que tu décris plus haut est entièrement nouveau, « toi comme destructeur », je ne t’ai jamais vu de cette façon. Plus j’y réfléchis et plus je vois dans cet inventaire un columbarium[3]. C’est aussi son format, très serré, avec sa petite quantité de langage, chaque page est une niche protégeant ses cendres et faisant son travail de mémoire. C’est peut-être la dernière façon pour les œuvres d’art de se manifester dans le monde que nous nous sommes créé, elles existent principalement du fait d’avoir été abolies. Et produisent ainsi le plus grand des effets, sans nous encombrer d’une quelconque façon. Absentes, elles deviennent des symboles dans le sens faible, des narrations.

Pour la question que je souhaite te poser, je prends les choses un peu différemment : si le virus nous imposait de prendre nos jambes à notre cou, que garderais-tu de ton travail ?

EW : Du travail que j’ai fait, sincèrement, je ne garderais rien. Ce serait inutile. Je préfèrerais recommencer de zéro. Ce serait beaucoup plus excitant. J’y ai souvent pensé et j’y pense souvent. Mais même (re)commencer me parait parfois ennuyeux. Je me demande souvent comment disparaître, comment faire autre chose, comment arrêter. Mais je ne sais pas arrêter. Je n’ai malheureusement pas la sagesse de Filliou pour pouvoir être heureux sans rien faire. J’adorerais ça. Je me demande d’ailleurs comment tu fais. Pas pour ne rien faire (je sais que tu travailles beaucoup), mais pour ne plus t’occuper de choses plastiques. J’aimais beaucoup la façon dont tu montrais ton travail. La façon de faire les mises-en-pages, les logos, les éléments perturbateurs (je pense en particulier au livre chez Zédélé). C’était vraiment parfait. Il me semble que tu as réglé un problème que je n’arrive pas à régler pour moi. Faire moins. Surtout aujourd’hui. Le monde de l’art est effectivement un lieu un peu mesquin pour se poser la question. De plus, j’ai l’impression que c’est encore aujourd’hui, dans le monde de l’art financiarisé, une position intolérable. On le sait, l’écologie dans l’art en tant que thème est un non-sens absolu. L’écologie n’est pas un thème, c’est une économie politique, sociale et culturelle.

Bref la question qui se pose à nous est : où exister mieux et moins ? Comment ? Avec qui ?

J-BF : Tu « ne garderais rien, ce serait inutile », et, « comment disparaître ? ». Tes œuvres s’enracinent pour moi dans un équilibre si précieux (Plus c’est facile, plus c’est beau, tu es un créateur de modèles[4], quoi de plus inestimable ?). Mais non, tu serais « No Futur », finalement ? Cela dit je t’emboîte le pas, complètement. Tout m’y incite. Toi et moi en avons déjà trop fait. François Villon a disposé de bien moins de temps que nous. Il faut laisser la place. Mais comment le faire ? Et passer à quoi ? Est-ce la bonne question, d’ailleurs ? En réaction à ce que tu écris et qui porte sur ce qu’il y avait de visuel dans mon travail, je viens de très loin, j’ai assumé toutes les étapes de l’art, au début, comme c’était long ce début, lorsque j’étais un croyant : les pratiques les plus inutiles surtout, qui remplissent peu à peu toutes les capacités du cerveau, comme une lente intoxication au plomb, les pratiques en rapport direct avec la forme. Je suis passé par des écoles et par des cours du soir. Rien ne me convenait. Pourtant, lorsque j’ai abordé le script (le protocole, la notation) comme mode opératoire au tournant des années 2000, tout ce que j’avais produit avant (et que je passe encore de longues heures à jeter aujourd’hui, cette cave qu’il a fallu récemment nettoyer, et à l’heure où je t’écris je suis en train de trier des boîtes, profitant du confinement) était encore un acquis de premier ordre avec son immense lourdeur, dont je ne voulais me séparer pour rien au monde. Mon illusion : je croyais qu’un tel savoir-faire me protégeait. Qu’il était un rempart à l’idiotie, une valeur. Pourtant dans l’atelier, j’y passais mes journées entières, j’étais constamment dans le doute, et ne réussissais jamais à rien finir. Mon obsession, le processus. Mais comment le faire fructifier sans me prendre les pieds dans le tapis ? C’est à cet endroit que s’est présenté le langage.

Toi et moi y recourons, et pourtant nous ne sommes pas des littéraires ! Lorsque les mots m’ont semblé assez forts pour soutenir ce que j’entrevoyais, une autre approche de la pratique de l’art, j’ai abandonné tout le reste. Parce que mes consignes contenaient tout. Elles vivaient bien mieux que tout ce que j’avais pu imaginer avant et que dès lors je ne pourrai plus regretter ­— je me vois comme un très grand naïf au départ. À part ça, j’ai pour habitude en tant que personne de ne pas laisser grand chose derrière moi. C’est que qui explique, je crois, qu’abandonner le dessin, l’installation, l’image, etc., n’a pas pour moi été très difficile. Je me suis senti grandi par le langage, tandis que mon savoir faire me plombait chaque jour un peu plus et me faisais toucher le fond. J’ai perdu du temps. Et puis un beau jour j’ai découvert Kaprow, un esprit libre (enfin, pas à ses débuts, il revient de nuancer), et tout a changé. Pour moi, tu ne peux pas autant rétrécir ton champ d’action que j’ai pu le faire car tu crées des modèles. La production, la monstration, la reproduction, la diffusion, la démultiplication, tout cela entre tellement dans ton approche qu’on serait tenté de t’inviter à ne surtout pas fermer le robinet. Toi, tu dois rester vaste. Même si tu en fais des tonnes, tout finit dans tes livres et ton columbarium. Une structure, une matrice qui enserre tout. Un réseau, un filet.

Où exister mieux et moins ? Comment ? Avec qui ?, j’y viens : il y a l’Abyssinie, mais on sait que ça finit mal, en plus, on commence par perdre une jambe, vraiment pas bon. En place de partir, il me semble que tout peut être entrepris ici et maintenant et avec les personnes qu’on fréquente déjà, si tant est qu’elles nous comprennent. « Faire comme si le monde de l’art dont tu rêves était déjà en place » me semble être une conduite viable. Ce monde rêvé peut être construit d’abstinence et de « ne pas » sans qu’on en souffre d’une quelconque façon car on ne le compare pas au « vrai monde » qui provoque l’asphyxie. Pour moi l’autre question que pose ta question – et que je te pose – est : À ton niveau que pourrais-tu changer pour que cet « où », « mieux, moins, comment » et « avec qui » puisse déjà faire partie de ton quotidien ?

EW : Quand je dis « je ne garderais rien », je veux juste dire que je n’ai pas besoin de garder ce que j’ai fait. Je suis un très mauvais collectionneur de mon propre travail. Je n’ai aucune de mes premières éditions. Je ne suis même pas sûr d’avoir un exemplaire de l’Inventaire dans un état décent. Je ne sais pas si les livres que je fais sont des modèles, mais j’ai toujours essayé (depuis les premiers livres) de produire des objets qui pouvaient déclencher quelque chose chez celui ou celle qui les lit. Un truc qui libère. Un truc qui dit : « Allez-y, faites. Ne vous souciez de rien. N’attendez personne. » Je veux fabriquer des preuves pour démontrer en actes que faire autrement et autre chose c’est toujours possible. Je ne crois pas qu’il n’y ait plus rien à faire, je crois au contraire qu’il y a à faire, à inventer. Et surtout je crois, comme Wolman, que nous pouvons tous être géniaux ou géniales. Il faut juste décider de faire absolument « autre chose ». Et s’y tenir. Mieux. Moins. Beaucoup moins. Beaucoup mieux.

Je vois très bien ce que tu veux dire quand tu parles du côté plombant du dessin, de l’installation et tout le bazar que ça trimballe. Parce que ça en trimballe du bazar ! Tout un écosystème de plus en plus irrespirable. Vraiment nocif. Le dernier miracle, pour moi c’est González Torres. Mais il a raison, il est bien coincé au fond de sa tranchée et il va falloir être intelligent pour survivre. Par contre je n’aime pas trop le mot « modèle ». Je préfère le mot « preuve ». Pour moi Cage, Weiner, Filliou ou González Torres ne sont pas des modèles. Ce sont des preuves. Les preuves qu’autre chose est possible. Toujours.

C’est exactement comme ça que je pense qu’on peut travailler. Tu as raison, le monde de l’art dont on rêve est déjà en place. Il n’est juste pas là où tout le monde regarde. C’est évidemment au quotidien que ça se joue et de ce point de vue je dois dire que cette conversation est pour moi la preuve inestimable que ça a déjà commencé. Et toi de quel monde (de l’art) rêves-tu ?

J-BF : « De quel monde (de l’art) rêves-tu ? » est une question à laquelle il m’est très difficile de répondre. Tant mon rapport à l’art est torve d’une part, tu le sais, mais également au vu de notre monde, justement, qui change à vue d’œil et sous nos regards en raison des crises (sanitaire, économique) sans précédent que nous traversons. Bien méritée. Crises si massives que l’art n’y peut plus rien, et s’en trouve relayé à n’incarner plus qu’une anecdote. Un à-côté. Une broutille. Que va-t-il rester de ce que nous connaissons (il est si impressionnant pour moi d’imaginer cette gigantesque soustraction, j’ose à peine dire que je l’attends avec impatience depuis très longtemps) ? Ou, tout à l’encontre, va-t-on revenir (artificiellement) à la situation que nous connaissions ? Quel désastre dans ce cas.

Pour aborder ta question de façon indirecte, j’aimerais revenir une fois encore sur mon incroyable naïveté, je la traîne comme Sisyphe pousse son rocher. En proposant La destruction du lieu d’exposition (2001), dans ma tête le mode d’emploi revenait à un message : « continuer d’exposer n’est pas seulement stupide, c’est aussi irresponsable », j’imaginais que les choses changeraient. Que nous ressentirions la nécessité d’une évolution, et que cette évolution adviendrait. Exposer n’a pas lieu d’être au centre, n’est-ce pas ?, l y a des centaines d’autres façons d’aborder la pratique de l’art. Or voici : beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis 2001 et j’ai remis les pieds à la FIAC il y a quelques mois (j’espère que c’était la dernière en date !, avec notre crise, nous pouvons l’espérer). Tout y était resté pétrifié. C’est une même vue d’ensemble qui revient toujours, à savoir que tout s’y manifestait comme très longtemps auparavant, tout avait empiré même : encore plus d’objets d’art insignifiants présentés au mètre carré, encore plus de rendement dans des allées en surchauffe. Quoi penser ? Et puis récemment, je suis tombé sur un texte de Brian O’Doherty, daté de 1986, qui me semble d’une incroyable pertinence. Je croyais en Yona Friedman jusqu’à récemment : « […] la pénurie est la mère de l’innovation sociale et technique. La société pauvre exige l’égalité et déploie, poussée par la nécessité, une ingéniosité technique exceptionnelle. C’est la société du monde pauvre qui est en train d’inventer l’architecture de survie[5]. » Mais le petit Brian me semble être bien plus sage au final, et surtout autrement plus réaliste : « L’histoire de l’art, en fin de compte, c’est de l’argent. C’est pourquoi nous n’avons pas l’art que nous méritons, mais l’art pour lequel nous payons. Ce système confortable est demeuré pratiquement incontesté par le personnage clé sur lequel il repose : l’artiste. La relation qu’entretient l’artiste d’avant-garde avec son environnement social est tissée de contradictions : l’art visuel a en effet une boîte de conserve attachée à la queue : il fait des choses. Après quoi, pour citer Emerson, l’homme monte en selle et va porter ces choses à la banque[6]. »

Donc j’en viens enfin à ta question, et je vais te répondre : « Et toi de quel monde (de l’art) rêves-tu ? » D’un monde (de l’art) dans lequel l’artiste serait plus éclairé. Beaucoup plus. Cet artiste serait un Diderot. Il serait un Musil. Une Carson. Et toi, Éric, de quel artiste rêves-tu ?

EW : Tu as raison la question est vraiment difficile et elle est impossible à prendre frontalement. Mais j’y vais quand même. En fait je n’ai jamais cru à ce que disait Cézanne : « Je vous dois la vérité en peinture. » Premièrement parce que l’artiste ne doit rien à personne. Ensuite parce que derrière la vérité il y a toujours l’idée d’un absolu. Et je ne crois pas en l’absolu. Ni en art, ni ailleurs. Enfin, je crois donc que l’artiste ne doit pas, mais peut proposer de la liberté en peinture et donc ailleurs. Tous les artistes qui m’intéressent ne font que ça : agrandir le champ des possibles, donner de l’air.

Ce matin je relisais une vieille note : « Ce que font les artistes est à nous. À nous tous. Sinon à quoi cela servirait-il ? » Toute liberté conquise par un ou une artiste est une liberté conquise par tout le monde. Nous ne devons dès lors considérer ce qui a été fait non pas comme une propriété privée (qu’on peut déposer à la banque), mais comme notre propriété, notre victoire. Marché ou pas marché.

Je peux encore rêver à un ou une artiste parce qu’il y a eu Duchamp, Cage et les autres. La Fontaine de Duchamp peut bien devenir un bibelot dans un intérieur bourgeois, elle a malgré tout fini par faire exploser les catégories de la sculpture (et de la bimbeloterie).

C’est pour ça que la propriété est une notion plus qu’importante. 

Quelle est ta situation vis-à-vis d’elle ?

J-BF : Ta phrase « Ce que font les artistes est à nous. À nous tous. Sinon à quoi cela servirait-il ? » me convient parfaitement. Dommage que si peu d’artistes y souscrivent et à l’encontre fassent en sorte de « privatiser » leurs artefacts. Tu vois, là encore, comment leur faire confiance ?

Ma façon d’aborder la propriété est la suivante. Au départ j’étais totalement extérieur au marché. Mon idée était de me faire valoir en tant qu’artiste prestataire, à savoir de trouver les moyens d’être payé pour mon travail et non pour mes objets d’art et/ou d’éventuels produits dérivés, en toute logique puisque par ailleurs mon travail est fortement dématérialisé, s’il y a objet d’art, c’est seulement de façon provisoire, — par exemple lorsqu’on fabrique une réplique, un « Starling x2 » ou un « Filliou x2 » comme c’est arrivé. Procéder ainsi n’était pas facile, mais ça ne marchait pas si mal. Pendant plusieurs années, six, je dirais, la question de la propriété ne s’est donc pas posée directement parce que je facturais des honoraires, à aucun moment durant cette période je n’ai pensé céder la propriété de quoi que ce soit. Un détail en lien avec la propriété s’avérait pour le moins compliqué toutefois : il est fréquent que plusieurs personnes travaillent sur un même service, que ce soit au niveau du script inventé (que j’appelle mode d’emploi) ou de sa mise en pratique (par moi et/ou des tiers). Dès lors qui est payé, qui pas ? Pourquoi ? Je restais dans le vague. Et puis je rencontre Ghislain Mollet-Viéville en 2004. Nous allons collaborer jusqu’à aujourd’hui. Celui-ci pense que les services doivent se vendre et trouver des propriétaires. L’idée me déplait énormément au départ. Mais celui-ci me convainc en soulignant qu’un propriétaire, s’il veut s’impliquer, doit le faire à titre de « développeur », d’accompagnateur bienveillant des projets Glitch et IKHÉA©SERICES. Pourtant je reste méfiant. Nous travaillons donc abondamment la question et rédigeons un contrat, qui doit presque tout à GMV. Dans ce dernier une clause stipule que « l’acquisition du service susmentionné et du mode d’emploi qui lui est rattaché ne modifie en rien le fait qu’il soit toujours et partout entièrement libre d’accès ». Le nom du propriétaire du service est cité, voilà tout, mais même acheté par quelqu’un, un service reste entièrement gratuit d’utilisation. Ceci est capital pour moi à partir du moment où je souhaite que les services ne puissent jamais être restreints par un quelconque acte de propriété. Ce n’est pas innocent. Je veux voir ces services circuler, se déformer, se corrompre, être pollués, ou même oubliés. C’est ainsi que je vois la vie de mon art. Avec des poussées et des déclins. Des appropriations justifiées ou douteuses. Lorsque j’évoque cette clause du contrat avec Antoine Moreau, créateur de la Licence art libre[7], celui-ci me rétorque que « “libre d’usage” ne veut pas dire “libre” selon les termes d’une licence libre, juridiquement les droits conventionnels te sont conservés ». C’est vrai, mais toutefois tout fonctionne bien de cette façon.

EW : Pour moi, la question de la propriété est avant tout réglée par le droit. En France, à partir du moment où quelqu’un fait quelque chose, il en est l’auteur et en conséquence il en est le propriétaire total et absolu, moral et patrimonial. C’est le droit qui donne à l’artiste (et à lui ou à elle seule !) un droit absolu sur ce qu’il ou elle fait. L’artiste peut à sa guise détruire, donner, troquer ou vendre. Donner à l’un et vendre à l’autre.

Imaginer un droit moral attaché à l’auteur et pas aux objets qu’il produit c’est tout le génie du droit français. Tu peux faire strictement ce que tu veux au nom du droit moral, y compris imposer à ton propriétaire de ne pas avoir l’exclusivité de ce qu’il t’a acheté. C’est une véritable bombe et presque personne ne s’en sert.

Pour moi, ce qui a vraiment tout changé dans ma façon d’aborder la propriété, ou de la valeur marchande, c’est la revue Potlatch. Abonner, sans leurs demander leur avis, cinquante personnes à une feuille de chou, quelle idée géniale ! J’étais en train de me compliquer la vie à essayer de vendre des livres (qui de toute façon ne rapporteraient jamais rien), alors qu’il suffisait de les donner. C’était tellement évident. Tellement plus facile et tellement plus efficace surtout. Il suffisait d’abandonner toute idée de rémunération.

Après, tu as raison, un des événements qui a le plus bousculé mon rapport à la propriété (et pas que le mien) c’est la généralisation du numérique dans un premier temps, puis internet. C’était à la fois une opportunité incroyable de faire circuler des œuvres et aussi une occasion inouïe de repenser la gestion de leur valeur morale et patrimoniale.

Mon modèle pendant longtemps ça a été Richard Stallman. Avec la série monotone press[8] j’ai essayé, en suivant son exemple, de mettre en place un site de téléchargement gratuit pour diffuser des objets que les gens voulaient m’acheter. J’adore cette espèce « d’économie mixte » de Stallman où il vend un système d’exploitation, qu’il donne en même temps sur internet. C’est tellement illogique ! Et pourtant ça a marché. En ce qui me concerne aussi ce fut un triomphe, puisque j’ai continué à ne rien vendre.

Aujourd’hui je ne sais pas trop quoi penser d’internet. Je n’ai pas l’impression que ça ait changé beaucoup de choses pour toi. Je me trompe ?

J-BF : Ce que tu viens d’expliquer apporte beaucoup à ma compréhension de ton rapport à la gratuité, chez toi si fondamental, si essentiel du début à la fin. Tu lâches le monstre, grâce au don. D’ailleurs, je t’ai toujours connu donnant tout ce que tu faisais en faisant beaucoup réagir les personnes autour de toi pour cette raison, nous avions une fois évoqué ensemble cette étrange figure parisienne, je ne sais plus si tu l’as intégré à Donner c’est donner, qui distribuait des billets de banques aux passants en plusieurs endroits (à la sortie du métro Hôtel de Ville, notamment, était-ce Karel Rösel ?, dans mon souvenir, il s’agit plus d’un illuminé que d’un artiste).

Comme toi, j’aime beaucoup Stallman, de même ai-je subi son influence et sans doute lui ai-je moi-même emprunté l’économie mixte comme principe — pour un de mes services, l’acquisition n’est qu’un possible et rien de plus, une éventualité, la question centrale reste l’activation gratuite, motivée, du mode d’emploi qui seule donne vie au projet, et sans qu’on soit par ailleurs dans l’obligation de me faire un quelconque retour sur cette activation.

Pour répondre à ta question, figure-toi que si ! Qu’en réalité l’Internet a joué sur moi un rôle de premier ordre. Je l’ai découvert en Allemagne, dans les années 1990, à Hambourg, où je vivais, et je dirais qu’à ce moment précis c’est l’Internet qui m’a fait sortir de l’atelier où je devenais une brute, replié sur moi-même chaque jour davantage. C’était décisif alors parce que j’avais beaucoup de mal à confronter ce que faisais à un public et pour cette raison vivais enfermé. Je travaillais continuellement, fuyant la réalité. C’était douloureux en fait, ça relevait d’une espèce d’incapacité à prendre part à la communauté. J’étais mentalement dissocié du grand tout. Aujourd’hui, je vois ça comme une sorte d’autisme. Vers 1996, les choses ont enfin commencé à changer car à partir de cette date, j’ai mis un poste de travail dans mon atelier de façon systématique. À Montreuil, par exemple, où j’ai séjourné quelques années, j’échangeais beaucoup chaque jour avec le lointain. Donc l’Internet, pour la relation. C’est horrible à écrire, imagine ! Mais l’Internet est surtout un mode opératoire et c’est ce dernier point surtout qui a retenu mon attention. On agrège. On soustrait. On recoupe, etc. Des personnes que je fréquentais alors étaient d’autre part, très versées dans cette culture et beaucoup des IKHÉA©SERVICES conçus avec elles tentent de faire advenir dans la réalité immédiate des phénomènes issus du virtuel (un exemple frappant est Upgrade, de Sloan Leblanc, l’idée vient du jeu en ligne et nous l’appliquions à la pratique de l’art et aux expositions, c’était en 2001). Bien entendu, il s’agissait là surtout d’hypothèses, dont la mise en œuvre donnait parfois de bons résultats. On entérinait la chose auquel cas. Le Glitch également, vient de cet univers.

Enfin, le hackerisme m’intéresse encore beaucoup aujourd’hui. Dont Stallman n’est pas très éloigné. D’ailleurs, ne nous trouves-tu pas un peu hackers dans l’art ? L’image est un peu stupide, excuse-moi. Nous œuvrons dans les marges. Mais aussi et surtout nos propositions, vis-à-vis de l’offre générale, sont un peu « comme on coupe du bois », franches, aiguisées et, le paradoxe n’est qu’apparent, sournoises dans certains cas. Attends, je dois sans doute mieux formuler ma question : le Hacker n’est-il pas plus transformateur que l’artiste ? Que peut l’artiste ?

EW : Aujourd’hui il est évident que l’apport des hackers est bien plus grand que celui des artistes. Si on pense à tout ce qu’ils ont rendu accessible, on est vraiment largués.

Mais on peut monter avec eux ! Je dis « monter » parce que je pense à Chris Marker quand il a invité d’autres artistes pour sa rétrospective à la Cinémathèque. Il a eu à peu près cette phrase : « Quand on a une Rolls Royce, c’est dommage de ne pas prendre des auto-stoppeurs. » Alors, oui, aujourd’hui ce sont les hackers qui ont la Rolls, et je sais qu’ils n’ont rien contre les stoppeurs. Mais je ne suis pas assez geek pour utiliser pleinement les capacités des réseaux. J’adorerais pourtant !

Quand tu me poses la question sur ce que peuvent les artistes, j’aurais tendance à te dire pas grand-chose. En même temps, chaque fois que je me pose cette question et que je suis sur le point de tout arrêter tellement c’est décourageant, je me re-raconte l’histoire de l’avion d’Howard Zinn : si un avion a pu voler cent mètres, c’est qu’un jour il en volera deux cents, puis trois cents, etc. Pareil pour la Commune de Paris, ou pour l’été anarchiste de 1936 en Espagne.

Les artistes ne peuvent donc faire qu’une seule chose, c’est apporter des preuves, ou devenir des preuves par eux-mêmes. Comme Stallman est une preuve. Faire quelque chose doit être encore possible, même si ça a l’air totalement vain. Soyons optimistes ! C’est d’ailleurs une des choses que j’aime beaucoup chez toi : ton enthousiasme. J’ai donc envie de te retourner la question : le Hacker n’est-il pas plus transformateur que l’artiste ? Que peut l’artiste ? (Je reviendrai peut-être aussi sur la question.)

J-BF : Tu évoques un regroupement, une bande, je retiens cela, c’est d’ailleurs de cette façon que tu as procédé, me semble-t-il, avec « Plus c’est facile, plus c’est beau » et ses invités, en 2017, tous réunis parce qu’ils avaient, un beau jour, fait la proposition d’un « facile émérite », selon tes critères. D’une façon approchante avec « Viens m’aider à réaliser le contenu de mon exposition », j’ai cherché à constituer un groupe dont le fondement était le suivant : quoiqu’il advienne, tout le monde a sa place dans cette exposition. Or j’aime le pire !

Poser la question de « ce que peut l’artiste » revient pour moi à essayer de savoir si oui ou non celui-ci doit/peut étendre son champ d’action au-delà des capacités qu’on lui reconnaît, à savoir pratiquer l’art.

L’artiste doit-il faire plus que pratiquer l’art ? Doit-il se manifester dans le champ du politique, agir en hacker, lancer des alertes ? Le peut-il, même, tout en conservant son statut, sa dénomination, auquel cas ?[9] J’ai vraiment beaucoup de mal à fournir des éléments de réponse à ces questions (bien qu’ayant potassé Les règles de l’art de Pierre Bourdieu où il est massivement question du réquisitoire de Zola au travers de J’accuse !, dont le poids provient en grande partie du fait que Zola est reconnu en tant qu’auteur important au moment où il prend position dans un champ qui n’est pas celui de la fiction littéraire). J’ai également relu dernièrement « L’action restreinte »[10] dans le détail, ce court texte pour moi vraiment insolite de Mallarmé, très frappant tant ce qu’il écrit peut être interprété à des degrés divers : deux lecteurs pourraient très probablement en proposer des analyses contradictoires. Comment saisir le « Aussi garde-toi et sois là. », c’est restreint qu’on agit au maximum ?

Toi, moi, faisons-nous davantage lorsque nous assumons pleinement nos rôles d’artistes, — rôle qu’il est très difficile de tenir en 2020, comme voilà une bonne centaine d’années qu’on ne sait plus vraiment ce que c’est qu’être artiste —, où lorsque nous nous engageons sur de terrains qui ne sont pas seulement symboliques ? Une réponse acceptable me semble résider dans l’abolition des antagonismes : tu tractes. Je désemplis. Voilà deux façons de nous engager sur des terrains qui ne sont pas seulement symboliques tout en respectant scrupuleusement l’endroit d’où nous nous exprimons : l’art. C’est petit et grand à la fois. Et dès lors sans aucun doute constituons-nous des preuves, comme tu l’écris, j’apprécie comme toi cette image. Ces nouvelles questions font donc suite aux précédentes, on est en pleine mise au point, ça me plaît : que mettrais-tu au compte de tes réussites ? Et que vois-tu comme des (tes) échecs ?

EW : Avant de te répondre, je voudrais juste rebondir sur cette histoire des terrains strictement symboliques. Il me semble que le symbolique tel que nous le pratiquons a déjà largement débordé sur le reste. S’abstenir de vendre quoi que ce soit et ne plus produire d’objets d’art, voilà deux gestes plus que symboliques. Ce sont des gestes concrets, sociaux. Bien sûr ils ont aussi une dimension symbolique, mais leur réalité sociale (politique ?) n’est pas fictive pour autant. Et il me semble qu’elle est aussi hors scène.

Maintenant, pour répondre à ta question, il y a certaines choses dont je suis assez satisfait. D’abord des formes : le bloc, le pli. Ensuite des modes de diffusions : les CD gratuits à imprimer soi-même, le site monotonepress.net où n’importe qui peut télécharger n’importe quoi. Il y a aussi la suite : Donner c’est donner, L’inventaire des destructions, Plus c’est facile, plus c’est beau. Et plus récemment, l’activation d’Empirer[11], à l’école d’architecture. Pas mal de choses en fait.

Dans les choses ratées, il y en a aussi beaucoup. Des trucs que je ne supporte plus formellement (des vieux dessins, des images…) et puis surtout le manque d’efficacité de tout ça. Tout ce travail pour si peu de résultats !

Il y en a quand même : je rencontre de temps en temps de jeunes artistes qui me contactent parce que mon travail leur a ouvert des portes, donné des envies, donné le courage d’essayer. Ça pour le coup, c’est une vraie réussite. Une vraie joie. Peu importe ce qu’ils (elles surtout) font.

Mais ces retours sont si rares !

Et toi, quelles sont tes réussites ? Et tes échecs ? Et aussi, mais plus compliqué : comment construire les succès futurs ?

J-BF : Réussites : principalement, un constat. Le fait que mes modes d’emploi aient été maintes fois pratiqués, parfois même à mon insu et à ma grande surprise, tandis qu’ils ne font pas autre chose que risquer des hypothèses, — j’utilisais déjà ce mot un peu plus haut (toi : « Preuves », moi : « Hypothèses »).

Lorsque je vois des annulations, des ralentissements, ou encore des mensonges advenir à titre d’œuvres, des œuvres très recherchées mais aussi massives en ce qu’elles ont occasionné de très gros efforts d’anticipation comme c’était souvent le cas dernièrement, c’est un peu comme si le mode d’emploi avait touché sa cible puisque des corrections délirantes deviennent réalité, grâce aux personnes qui s’approprient ces gestes et « leur inventent un vécu », tu as fait de même avec Empirer. Il y a donc quelque chose qui fonctionne dans tout cela. Quelque chose qui peut être mis en vie autant de fois qu’on le souhaite. Cette perspective me réconforte car ça n’était pas gagné d’avance.

Échecs : non, pas un seul, jamais ! Je plaisante. Si j’avais su davantage où je voulais en venir avant 30 ans, ce qui n’a pas été le cas, j’aurais peut-être disposé d’un peu plus de marge pour foutre le camp. Interprète cette image comme tu veux. C’est long, une vie. Il faut se coltiner ses propres bêtises interminablement. On se refait, c’est possible, mais ça coûte tellement à chaque fois. Le pire pour un artiste, me semble-t-il, est de succomber à ce qu’il pense être « son naturel », son soi-même.

Comment construire les succès futurs : répondre à ta question est clairement impossible, tu le sais, mais tout de même, je vais essayer, nous l’aimons bien, notre « impossible ». Humbles, nous pouvons seulement être prévoyants. À notre niveau, et tu en parles, il s’agit probablement d’un effort spécial à donner sur la diffusion. Pour transmettre, il faut faire en sorte que la propagation s’effectue selon des modalités simplissimes, parce que tout est déjà trop compliqué, et ceci risque de s’intensifier sans cesse, les regards juvéniles étant toujours davantage fixés sur des Smartphones et devant faire se fusionner plusieurs niveaux de réalité en permanence. Me concernant et venant moi aussi d’un fatras innommable, d’une ultra complexité, je me suis concentré fortement sur le projet de faire tenir tout ce que j’ai imaginé en un livre unique, c’est un peu ton Bloc[12]. C’est-à-dire que j’ai fait en sorte que quiconque passe la porte, au figuré, avec mon bouquin sous le bras, me connaît entièrement, profondément, et peut m’utiliser comme point de départ. Et me jeter, plus tard, si besoin, m’ayant assimilé. Donc succès futurs : permettre un accès commode au travail, à savoir d’une extrême évidence (un manuel « en tout et pour tout »), je ne vois que ça.

Mais penses-tu qu’il soit bien sage de se soucier du futur ? Sur quoi a-t-on la main, pour finir ? Que contrôle-t-on de ce qu’on fait, toi et moi ?

EW : Tu as raison nous ne devons pas nous soucier du futur. Attendons de voir.

Dans la description que tu fais de tes échecs, j’ai cru reconnaître le Michaux de Poteau d’angle. C’est dans ta phrase qui dit que le pire pour un artiste est de succomber à ce qu’il pense être « son naturel ». C’est évidemment le risque qui nous guette toujours. Weiner dit ça un peu différemment quand il parle du « résidu merdique » de la peinture qui l’a obligé à peindre. Je crois qu’on se bat tous avec ça, avec ces résidus merdiques qui nous collent aux basques et nous ralentissent.

Donc ce que nous pouvons essayer de contrôler (mais ça fait déjà un moment qu’on travaille) c’est le délestage de tout ce qui (nous) encombre encore. En ce qui concerne la volonté d’en contrôler le moins possible, je trouve ton terme « correction », plus fécond et plus subversif que les mots « réalisation », ou « actualisation » qu’on utilise d’habitude. Il inverse les hiérarchies. Ce n’est pas l’artiste qui propose et le récepteur qui exécute, mais bien le destinataire qui corrige ce que l’artiste a visiblement mal fait, ou pas assez fait, ou pas fait du tout ! Ce petit détail n’est pas sans rappeler le principe des logiciels libres, où qui veut peut améliorer, pour lui ou pour la communauté, le système ou le programme qu’il utilise. D’ailleurs c’est un principe sur internet : on publie d’abord, on corrige après.

Autre remarque à propos d’internet, et petit retour sur la question : « qui nomme et dans quel intérêt ? » Il me semble que là encore internet fournit un modèle renversant. Comme le dit la blague : « Sur internet personne ne sait que tu es un chien. » Internet se fout des titres. Sur un wiki par exemple, que tu sois docteur ou plombier n’a strictement aucune importance. Seule la qualité des contributions compte. D’ailleurs personne ne donne son nom et encore moins son titre. Il faudrait vite transposer ce principe dans la vie réelle.

Un des concepts qui coinçait à l’époque où on discutait avec Antoine Moreau, Mélanie Clément-Fontaine, Roberto Martinez, Antonio Gallego, les gens de l’April etc. sur la licence art-libre, c’était outre la question du code source (l’œuvre source ?), la question de savoir ce que ça pouvait bien vouloir dire « améliorer » une œuvre d’art. Il me semble que ton simple choix du mot « corriger » est une réponse. J’ai l’impression que le travail à faire est donc du même ordre par rapport à Internet que ce qu’il aurait déjà fallu faire par rapport à la photographie (ce que Benjamin dit, lorsqu’il affirme qu’il faut se demander ce que la photographie fait à la peinture, et pas le contraire). Là-dessus tu as déjà une sacrée avance. Ça ne m’était jamais apparu aussi clairement. Il y a encore beaucoup à faire pour parvenir à un art libre (comme on dit un logiciel libre).

Qu’en penses-tu ?

J-BF : C’est intéressant parce que nous avons traversé les mêmes mondes me semble-t-il, et plus nous avançons dans cet entretien et plus cette racine commune me semble avérée. Ceci dit :

  1. J’ai exprimé la même réserve que toi vis-à-vis de la question « d’amélioration en art », tant elle me dérange, m’irrite même, d’une façon semblable exactement à la perspective de « l’œuvre vertueuse » qui selon moi ne devrait en aucun cas exister (art et morale doivent être mis à distance). Améliorer en art est un non-sens et certainement faut-il même plutôt cheminer à contre-courant, et prôner l’écart de conduite systématique, à savoir tendre vers le pire, s’approcher du cauchemar de l’œuvre qui exclue toute morale (vive les Pasolini, les groupes comme Whitehouse/William Bennett[13] & Philip Best, Artaud…) — à l’occasion d’une Amicale de la Biennale de Paris (à laquelle Antoine Moreau participait de très près, c’était en 2006 ou 2007), j’avais rédigé quelques lignes vraiment très voisines de ton propos : « Améliorer un logiciel oui ! Mais que peut bien signifier améliorer une œuvre d’art ? ». Toutefois, il faut garder à l’esprit que Moreau a beaucoup d’humour et de distance, y compris vis-à-vis des postulats qu’il énonce. Moreau est rigoureux et fantaisiste à la fois, catégorique et bohème, j’apprécie ça énormément à chaque fois que je le vois, ce qui a été le cas, de nouveau, récemment. Fin comme un renard, c’est un enfant direct de Baltasar Gracián, ce « coach de l’homme de cour[14]» qu’il apprécie tant. Par exemple il a, dernièrement, fait figurer des artistes dans une exposition collective sans que ceux-ci aient préalablement consenti à s’y trouver : on apprenait son appartenance au projet seulement lorsqu’on recevait sa communication, qu’il avait adressée au départ uniquement aux artistes exposants ! Il a ensuite collecté les échanges avec ceux-ci (parfois un peu indignés) et cette base a fait l’objet d’une publication tenant lieu de catalogue d’exposition.
  2. Parvenir à un art libre me semble impossible à partir du moment où la dimension économique a trop d’importance dans l’art, elle en est le centre, quoi qu’on en dise. Je citais plus haut O’Doherty. L’art que nous « méritons », celui-là même qui pourrait faire progresser les notions de propriété, de collaboration, de création, sera pour toujours confinée dans les interstices de notre société. C’est toujours pour leurs productions les plus mauvaises que Brecht ou Filliou figurent dans le marché de l’art, grâce ou à cause de leurs produits dérivés et de leurs « bébeilles[15]». C’est à celles-ci qu’ils doivent beaucoup de leur renommée. Et pourtant qui a plus contribué qu’eux à l’avènement d’un art libre ? La chose est impossible. Des Foires Internationales d’Art de plus en plus titanesques inhumeront les derniers rebelles. Il ne faut pas rêver, c’est vrai que c’est difficile, il faut faire face en tant qu’artiste, chaque jour, à cette incroyable noirceur. Ou alors, à l’opposé, annoncer comme Metzger : « We Must Become Idealists or Die[16]. » (2015). Lorsque rêver (attacher sa pensée à une ambition) se mue en volonté. Et demande un « must », s’annonce comme un devoir. On peut s’inquiéter.

Je disais plus haut qu’une racine commune émergeait toujours plus. Selon toi, en quoi nous opposons-nous ?

EW : Ce qui nous oppose, je ne sais pas bien. Par contre ce qui nous sépare (nous différencie) je vois bien deux ou trois trucs. Tu aimes les films gore, moi je n’arrive pas à les regarder. Je ne dis pas ça que pour plaisanter. Il me semble que tu arrives à regarder les choses là où elles peuvent être désagréables. C’est une qualité certaine. Tu arrives d’ailleurs à toujours garder un certain tranchant (!), là où je peux vite devenir gnangnan ou pathos. Et puis surtout, tu as réussi à faire ce que je n’ai jamais pu faire : tu as su t’arrêter et je n’y arrive pas. Je ne sais pas comment faire. M’arrêter ? J’y pense tout le temps mais ça me rend malade chaque fois que j’essaye.

Une autre chose qui nous distingue, c’est que toi tu attaques. Pour de vrai. Tu passes à l’acte. Ou tu donnes des armes pour que d’autres passent à l’acte. C’est du direct. De mon côté c’est plus ambigu. J’essaie de proposer des choses qui peut-être libèreront certaines énergies, certaines envies, certains désirs. Pas plus.

En ce moment je lis des choses de Filliou (je suis tombé sur un long entretien de 1984 que je ne connaissais pas). Je te trouve un peu sévère sur ses « bébeilles » (il aurait sûrement validé le mot). Le problème de ce que produisent les artistes, c’est que quoi que nous fassions, le marché convertira tout ça (bien ou pas, révolutionnaire ou non) en autant de produits dérivés d’une pensée qu’il se gardera bien de valider. Pour Filliou c’est tellement flagrant[17]! Tout ça n’est pas très grave, il y a encore de la place dans les interstices.

Et selon toi, qu’est-ce qui nous oppose ?

J-BF : Tu avais raison, il fallait écrire « nous différencie », ou sépare, plutôt que nous oppose.

Je t’envie aussi beaucoup de choses. Surtout le fait de t’être hissé à un art authentiquement moyen, au sens de Musil et de George Brecht. Tu en es arrivé à des résultats tout aussi pertinents qu’ils sont totalement dénués de spectaculaire. Je me sens expressionniste à côté de toi (Kafka contre son père). Chez moi tout est volonté et c’est souvent un problème. De ce fait j’envie ta position beaucoup plus apaisée qui ne demande rien. Qui incarne un aplomb. J’employais le mot « ordinaire », si mes souvenirs sont bons, dans ma CHRONIQUE DE LA SOUSTRACTION dédiée à ton inventaire (oui, « Scènes de la destruction ordinaire »[18]) et c’est pour moi ce mot qui te définit le mieux : l’art, donc le tien, ne nous est jamais aussi utile que lorsqu’il est ni plus ni moins qu’un outil qui demande à être pris en main. Avec toi, on ne sait jamais si, de ce que tu souhaites dire ou des procédés que tu emploies pour t’exprimer, lequel est le plus important (c’est aussi vrai pour tes photographies). On peut dire la même chose exactement d’œuvres bien plus anciennes comme L’art de la fugue. La façon d’enchaîner les notes a autant d’importance que ce que ces notes prétendent nous dire (il faudrait préciser). Tu es formel, en ce sens, mais pas du tout au sens retenu par l’histoire de l’art récente. Tu crées des motifs. Plus c’est facile plus c’est beau : sont-ce les preuves (comme tu dis) qui sont importantes, autant de propositions d’artistes percutantes parce qu’elles semblent faciles, ou plutôt le fait de créer un dispositif accueillant cette idée, que plus c’est facile plus c’est beau ? Le méta.

Tes propositions, c’est bête à écrire, de ce fait te ressemblent beaucoup : ce sont des « instruments » (que j’appelle modèles et toi preuves) ordinaires à l’intérieur desquels on s’immisce naturellement. Je me vois pourtant totalement à l’opposé : d’abord je m’approprie des modèles (comme des noms, IKEA, Glitch, etc.), plutôt que j’en crée (comme toi), je me focalise ensuite sur les contenus perturbants, violents que je vais glisser à l’intérieur de mes modèles récupérés. Je fais une lecture de Musil avec les yeux des Bad Brains et des Minor Threat. En me relisant, je vois combien cela n’est pas encore vraiment clair dans ma tête et j’espère que tu me suivras. Ce qui me semble fou est que toi et moi ne nous connaissons pas — je veux dire que tu ne sais pas vraiment ce que tu fais ni moi non plus (ce que je fais), et je trouve ça très étonnant. D’autant plus que nous faisons ce que nous faisons depuis longtemps. Tout comme la personnalité, l’art échappe en partie à l’individu qui le pratique. Nous sommes aveugles à nous-mêmes. Là, sans doute, réside une belle porte de sortie.

Mais quoi nous rapproche, alors ?

EW : En fait, je crois que nous ne nous connaissons pas si mal que ça.

Quand tu dis que dans mon travail on ne sait pas très bien si le plus important c’est ce que je souhaite dire ou les procédés que j’emploie, c’est exactement le point d’équilibre que je cherche (même si je n’y arrive pas tout le temps). Que ce soit toi qui le dises me conforte dans l’idée que je ne me suis peut-être pas tout à fait trompé. Mais peut-être est-ce un effet de notre trop grande proximité !

Il y a beaucoup de choses qui nous rapprochent (même si nous n’avons pas toujours les mêmes références). Je crois qu’il y a d’abord une histoire : Galaad, les éditions Zédélé, les livres, ce qu’on peut mettre dedans, etc. Il y a aussi, sans doute, certaines conclusions communes que nous tirons sur ce qu’on peut encore faire dans le monde de l’art tel qu’il existe aujourd’hui. Toi et moi, nous savons que dans tout ce fatras (qui est extraordinairement hétéroclite) il reste encore quelques personnes qui essaient de faire quelque chose. Il y a donc encore un peu d’air.

Je crois aussi que nous partageons un goût prononcé pour l’économie de moyens. Surtout toi !

Je crois enfin nous avons la même envie de voir les autres passer à l’acte, avec ou sans nous.

Parenthèse :

Je voudrais revenir sur la question : qu’est-ce que la photographie aurait dû faire à l’art ? C’est fort simple : détruire toute idée d’œuvre unique. Visiblement ça n’a pas eu lieu. Mieux que ça, cette hypothèse a été écartée. Radicalement.

Il faut donc reposer la question aujourd’hui : qu’est-ce-que le numérique fait à l’art ? Qu’est-ce qu’internet fait à l’art ? Il faudrait essayer d’être exhaustifs, mais tu pourras compléter :

– Le numérique détruit la forme (puisque les contenus sont toujours corrigés par les terminaux)

– Le numérique peut tout discrétiser (c’est-à-dire tout passer par le texte).

– Les objets sont sans débuts (ce n’est pas nouveau), et sans fins (ça c’est nouveau).

– Un auteur était dilué par les voix de tous ceux et toutes celles qu’il reprenait à son compte (l’auteur multiple). Avec le numérique, s’il y a un auteur, il sera dilué instantanément par ses repreneurs (ses correcteurs).

– La seule forme est celle du code.

– Les productions sont toujours des reproductions.

– Rien ne peut être soustrait.

– Tant qu’un objet circule il ne peut pas être accaparé puisque chaque circulation entraine une reproduction.

– Avoir ne prive personne.

– Ce qui a été fait est fait pour être refait, défait, modifié, appauvri, enrichi, amélioré, abimé sans que rien n’ait été perdu.

– Tout nouvel objet est inachevé par définition.

– Rien n’est fini.

– La forme la plus simple sera toujours celle qui gagne.

– Ce qui est réduit ne peut être qu’augmenté (ou détruit).

(Tout ça est un peu en vrac, mais on devrait pouvoir y mettre un peu d’ordre : forme, propriété, circulation, etc.)

Fin de la parenthèse.

À ton tour : qu’est-ce qui nous rapproche ?

J-BF : Une chose, pour moi, plus que toutes les autres : nous œuvrons tous deux quotidiennement tout en sachant que l’art n’est pas le plus important. Nous reléguons notre pratique de l’art au rang des moyens.

Pour parler de quoi ?

De quoi penses-tu avoir parlé au travers de ton art ? ­­— limitons-nous pour répondre à n’avancer au maximum que trois items, ou thèmes.

EW : Tu as parfaitement raison : le plus important ce n’est pas l’art.

Pour répondre à ta question, si on comprend la question comme : « de quoi ça parle ? », la réponse est : « généralement de pas grand-chose. »

En ce qui me concerne, « comment ça parle » = « de quoi ça parle ».

C’était un des enjeux de l’Inventaire. Quand j’ai commencé à rédiger l’Inventaire des destructions[19]je dérogeais à une de mes (presque) convictions qui est que : quoiqu’on dise, « le message c’est le média ».

Je savais que la question de la destruction de l’art (qui plus est par les artistes mêmes) poserait problème. Qu’elle intéresserait. Qu’elle pouvait devenir un « sujet ». C’est effectivement ce qui s’est produit. Le « sujet », surtout quand il est intéressant, masque une chose fondamentale (mais rarement vue, pensée, ou débattue), qui est la façon dont ce message arrive. Rien ne sert d’avoir un message politique, si le moyen utilisé pour le dire est nul (ou pire contradictoire) politiquement.

Et pour toi ?

J-BF : Je crois que la cruauté (l’expression d’actes que l’on jugera injustes) est ma matière. En place d’un long développement, je te propose plutôt ce passage du philosophe Clément Rosset, dont je lis plusieurs livres en ce moment. En recopiant ces lignes pour notre entretien, je me sens vraiment chez moi : « Il n’y a probablement de pensée solide — comme d’ailleurs d’œuvre solide quel qu’en soit le genre […], — que dans le registre de l’impitoyable et du désespoir (désespoir par quoi je n’entends pas une disposition d’esprit portée à la mélancolie, tant s’en faut, mais une disposition réfractaire absolument à tout ce qui ressemble à de l’espoir ou de l’attente). Tout ce qui vise à atténuer la cruauté de la vérité, à atténuer les aspérités du réel, a pour conséquence immanquable de discréditer la plus géniale des entreprises comme la plus estimable des causes, — témoin, par exemple, le cinéma de Charlie Chaplin. Je trouve à cet égard beaucoup de justesse à une remarque d’Ernesto Sábato, dans son roman Abaddón el exterminador : “[…] Une théorie doit être impitoyable et se retourne contre son créateur si celui-ci ne se traite pas lui-même avec cruauté.” Réfléchissant sur cette question, je me suis demandé si on pouvait mettre en évidence un certain nombre de principes régissant cette “éthique de la cruauté”, − éthique dont le respect ou l’irrespect qualifie ou disqualifie à mes yeux toute œuvre philosophique. Et il m’a semblé que celle-ci pouvait se résumer en deux principes simples, que j’appelle “principe de réalité suffisante” et “principe d’incertitude” […][20] »

En œuvrant, j’essaie d’exacerber « les aspérités du réel ». Exacerber : irriter, exaspérer, souligner, révéler. C’est ambitieux. Je n’y suis que très peu arrivé, très probablement. Créer par soustraction est mon autre matière. Mais matière (ou sujet, thème) est un mot incorrect car je te parle de gestes (deux manifestations d’intentions), même si ceux-ci sont connectés à des fondations théoriques, ce sont des gestes. Ceux-ci procèdent en sens inverse, par ailleurs, ce qui explique le grand écart auquel je suis confronté en permanence. Exacerber et soustraire se rejoignent, aussi, pourtant, et c’est ce que je tente de mettre au travail dans mes recherches (les entretiens « Beaucoup plus de moins »[21]).

Je crois qu’il nous faut revenir sur terre à présent : en dehors de l’art, existait-il un autre métier qui t’intéressait ?

EW : En fait je voulais faire de la bande dessinée. J’ai passé mon collège et mon lycée à penser que je serai dessinateur de bande dessiné. J’ai même beaucoup travaillé pour ça. Je dessinais tout le temps, je lisais énormément d’albums, je parcourais les festivals (il n’y en avait pas beaucoup dans le var, à l’époque). Tout a changé quand j’ai rencontré l’art contemporain, si on peut le dire comme ça. C’était fin 1980 et je préparais soi-disant mon bac.

Et toi ?

J-BF : Difficile. J’ai toujours pensé qu’en faisant du cinéma, je m’en serais bien mieux sorti — au demeurant, je vois pour toi et moi le fait d’avoir choisi l’art contemporain comme contexte pour notre accomplissement comme une décision pénible. On parle d’entre quatre murs. L’art contemporain est beckettien, d’emblée, il nous met à l’état de paralysés : « Il faut continuer. Je vais continuer. » Et pourtant, c’est un cadavre qui parle. De là, vient, à mon avis, le découragement, parfois. On est entendu ? Par trois personnes tout au plus. On se félicite du fait que, souvent, la troisième fait justement valoir que c’est une bonne chose, ce fait qu’un contenu ne soit perçu que par un nombre incroyablement minuscule de personnes. On trouve des expédients, on se rassure. Un film s’adresse à des dizaines de milliers de personnes. Mais en y regardant d’un peu plus près, je crois que le cinéma aurait été, en ce qui me concerne, un bien mauvais choix. Le cinéma est l’art qui vieillit. Qui dit tout sur le moment, ou plutôt qui en dit trop. C’est l’art du plein. Et aussi peut-être de la boursouflure. C’est l’Opéra. C’est l’illusion, le carton pâte, même lorsqu’Haneke (que j’aime énormément) est le nom du réalisateur.

Mais il y a autre chose : la philosophie. À 17 ans, je rêvais de devenir philosophe. Deux années à l’université de Tolbiac à Paris m’ont découragé (le cours de mon professeur le plus important consistait à lire un Que Sais-Je écrit une trentaine d’années auparavant, « Platon et les platoniciens »). J’en ai gardé quelque chose pourtant, et sans paraphraser Debord, je crois qu’il y a dans l’art quelque chose d’une philosophie réalisée, mise en acte, même si beaucoup du « reste » (ou précipité) obtenu consiste en symboles (images, figures) qui ont finalement très peu à voir avec ce qu’est « philosopher ».

Ce qui m’étonne dans ton choix pour la bande dessinée, c’est la part de narration. Penses-tu avoir conservé quelque chose d’elle dans ton art ? Quel rôle accordes-tu à ce qui se raconte ?

EW : En ce qui me concerne, tu sais que le court est un format qui me convient parfaitement.

Mon rapport à la bande dessinée a toujours été singulier. En fait, je ne sais pas en lire une correctement. Je me suis toujours perdu entre le texte et les dessins. Donc le plus souvent, je ne lis pas une bande dessinée. Je la regarde. Je passe de case en case et de page en page mais en négligeant le texte, voire même en l’ignorant totalement. Ce n’est que si j’ai vraiment envie d’en savoir plus que je lis. L’histoire, elle, passe souvent à la trappe. Je suis très peu narratif. Je développe peu. J’aime bien mettre sur la piste, donner une impulsion, et laisser l’histoire se résoudre sans moi. Ça recoupe un peu ta question précédente sur le contenu. De quoi parle-t-on ? Ta réponse sur la cruauté me semble tout à fait juste et précise. Je suis incapable de faire une telle réponse. Je ne sais pas de quoi je parle. J’ai toujours l’impression de devoir tout refaire. Il y a des trucs que je trimballe depuis des dizaines d’années, mais je ne les domine que très peu. Je me laisse porter (quand ça porte !) Contrairement à ce qu’on pourrait croire, je ne sais pas travailler longtemps sur quelque chose. Tout m’ennuie très vite. Dans une journée de travail je suis toujours en train de passer d’un projet à l’autre en n’en finissant presqu’aucun. Je ne sais pas faire autrement. Après, comme je trimballe certains trucs depuis très longtemps (L’inventaire a commencé il y a plus de vingt ans), ça finit par faire quelque chose, mais je ne sais toujours pas exactement quoi. Des fois c’est très excitant, des fois c’est juste désespérant.

Pour la philosophie et l’art, je serais volontiers d’accord avec toi : la philosophie, n’est-ce pas cet art qui nous apprend à perdre ?

En lisant ta réponse sur la cruauté, j’ai tout de suite pensé à ton goût pour le gore. Cruauté et gore ? Quelle est la place du gore dans ce que tu fais ?

J-BF : Le gore : ah, vaste sujet. Non, je ne crois pas qu’il y ait de lien avec la cruauté pour la raison que la cruauté est nue, c’est justement pour cela qu’elle fait mal et qu’il faut autant de temps, parfois plusieurs vies, pour l’encaisser, à l’encontre du gore qui est une boursouflure (intumescence) — encore un trop, du plein. En droite ligne, d’ailleurs, du Grand Guignol, dit-on, qui n’est pas connu pour sa sobriété. Pour ce qui concerne le gore, je crois qu’il faut plutôt chercher du côté de mon goût pour l’obscène. Il me vient d’un certain désespoir : ne voyant pas apparaître dans la vie (qui passe) les valeurs que j’aimerais y trouver, le gore est une jouissance dans l’atroce. Cette phrase de Baudelaire me frappe depuis toujours, incomparablement, je l’ai même utilisée à plusieurs reprises : « Le mélange du grotesque et du tragique est agréable à l’esprit, comme les discordances aux oreilles blasées[22]. » Noise extrême, Black Metal, films d’exploitation et hooliganisme, tout est là, dans ce « comme les discordances aux oreilles blasées ». En me faisant subir tout cela, j’apprends combien il ne faut espérer aucun autre monde que celui que nous connaissons. Subir celui-là, le nôtre, sans rien en attendre, c’est là que se trouve sans aucun doute mon appétit pour le gore et plus largement les cultures de la violence. Toutefois, cela n’est peut-être pas aussi important pour moi qu’il y paraît. Je crois que ça se situe plutôt du côté du relâchement, de la mise hors régime qu’on doit s‘accorder chaque jour pour survivre. Le gore est ma soupape. Il me débranche. Il me divertit. Grâce à lui, tout me fait rire, ce qui ne revient pas à dire que rien n’a d’importance.

Or voilà ma nouvelle question. À la façon des « Formes de vie » de Franck Leibovici, j’aimerais connaître ce qui te divertit. Où trouves-tu du plaisir ?

EW : J’adore être seul et ne rien faire. Être capable de ne rien faire. Rien du tout. Pouvoir rester tranquillement à ne rien faire. N’importe où. Pour moi c’est vraiment l’idéal à atteindre. Ne rien savoir. Ne rien juger. Ne rien attendre. Ne rien penser. Quel bonheur ! La « Forme de vie » qui organise tout ce que je fais n’est pas très loin de cette recherche du rien. Je déteste travailler sous la contrainte (extérieure) et je déteste m’alourdir. J’ai toujours essayé de me débarrasser au maximum des objets. C’est toujours du poids, de l’intendance, du temps perdu. J’aime trop le temps que j’ai. Je n’en aurai pas d’autre.

Ne rien faire, ne rien avoir à faire c’est tellement délicieux.

Après il y a des gens. Ceux et celles que j’aime. Ceux et celles avec qui je passe du temps. Après il y a la musique. Je peux passer des nuits entières à écouter de la musique. Je n’ai jamais pensé que je pourrais devenir musicien. C’est dommage. Je ne voyais pas ça comme un métier. Ça sera pour plus tard. Après il y a ces milliers de choses que je trouve géniales et qui me font littéralement sauter de joie quand je les découvre, que ce soit les Shadoks ou Howard Zin.

Et toi ?

J-BF : Même rapport que toi à la musique, il est simplement fou. Excessif, très très excessif dans mon cas. Marcher, en découvrant de nouveaux sons. Avec ce moment durant lequel survient une coïncidence entre « des sons » et ce que le corps arpente. Ça m’est arrivé tellement de fois. Et ça m’a procuré tellement de plaisir. En tant que soustracteur, j’ai honte de t’avouer que j’ai écouté plusieurs milliers d’albums de toutes sortes dans ma vie. Sans doute plus. Les styles m’importent peu.

Mais les Shadoks ? Quoi ? Babel te parle ?

EW : Les Shadoks ratent tout. C’est même un principe chez eux : « Plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. » Mais ça ne marche jamais. Ils sont moches, bêtes, et méchants. C’est en tout cas comme ça que Jacques Rouxel les imaginait (au moins au départ). Techniquement ça a tout pour plaire. C’était fait avec trois fois rien : tout était dessiné directement sur un animographe qui a rendu l’âme dès la fin de la première saison. Mais que vient faire Babel dans tout ça ?

J-BF : Babel, pour l’aplomb abracadabrant, une monumentalité inopérante, voire déviante, mais c’était totalement intuitif, c’est un souvenir[23]. Les montages et démontages frénétiques qu’ils opèrent du bas vers le haut, et inversement : « Avec un escalier prévu pour la montée, on réussit souvent à monter plus bas qu’on ne serait descendu avec un escalier prévu pour la descente. » C’est une culture que j’aime aussi énormément. Plus profondément j’en profite pour revenir une fois encore sur la question des mots : « Les mots nous présentent des choses une petite image ». Te passeras-tu des mots, un jour ?

EW : C’est vraiment une question difficile. Ça dépend des jours. Il y a des jours où je ne rêve que de silence. Des œuvres silencieuses dont il n’y aurait strictement rien à dire. Des choses qui seraient simplement là. Indiscutablement présentes, et parfaitement muettes. Parfois au contraire je n’imagine pas autre chose que des mots. Parce que les mots peuvent avoir ce pouvoir d’ouvrir radicalement sur autre chose qu’eux-mêmes. En cette fin de confinement j’avoue que je ne sais plus très bien. Par contre je suis sûr que toi, tu n’en as pas fini avec les mots. Je me trompe ?

J-BF : C’est vrai, je n’en finirai sans doute jamais, mais toutefois ce que tu évoques, à savoir « Des choses qui seraient simplement là. Indiscutablement présentes, et parfaitement muettes. », me parle, sans faire de jeu de mots, énormément. Plus j’avance dans mes recherches sur les artistes soustracteurs[24] et plus je remarque combien la logique soustractive appliquée à l’art entraîne avec elle une nécessaire, sinon indispensable supplémentation. En bref, Michael Asher, Lee Lozano, Gustav Metzger ou Bernard Brunon (tu entres aussi, très certainement, dans ce compte avec L’inventaire des destructions) sont des conteurs qui relatent des faits : ce qui a été ôté à l’aboutissement de l’œuvre revient sous la forme de mots. Il ne « manque rien », donc, à l’œuvre d’art réalisée en logique soustractive, puisque celle-ci nous raconte des histoires. On le comprend, cette force est aussi une faiblesse : les « trous » ne peuvent exister seuls, à la façon des « choses muettes » que tu évoquais à l’instant. Weiner accompagne son carré de retrait d’un statement qui lui confère un « cadroir ». Dans le détail, Asher exprime verbalement les contours d’une position politique (dont la sociologie serait l’outil) lorsqu’il dénude la galerie (de la même façon qu’on le ferait avec de fils électriques). Les « trous » (réalisés en créant par soustraction) ont besoin de mots parce qu’ils ne s’expliquent pas seuls. La logique soustractive, et elle est décevante en ce sens, est cousine du ready-made et du détournement qui s’accompagnent de mots pour des raisons semblables : pour faire comprendre qu’ils sont autre chose (et plus, justement, mal en prenne à la soustraction) que ce qu’on l’on voit, il faut les expliquer. En somme, nous n’avons aujourd’hui d’Asher que ce qu’il nous a dit de son travail, parce que les gestes qu’il a mis en pratique ne contiennent rien, sont sans intériorité.

C’est troublant : notre art ne peut sortir des mots.

La bonne nouvelle, c’est que si tout s’arrête, les mots voyagent bien. C’est mon pari. On retrouvera peut-être les Writings d’Asher, tandis qu’il ne restera rien de ses activations (soustractions, déplacements) en dur.

Concernant la comparaison mots-images, on suppose que les images sont forcément plus universelles que les mots qui connaissent les frontières des langues, d’où la difficulté à bien traduire, etc., j’ai le souvenir, il est vague, donc je me trompe très probablement, d’une anecdote d’Élie Faure[25], qui expliquait qu’au 17e siècle, les orientaux qui voyaient débarquer chez eux des portraits hollandais exécutés à la peinture à l’huile sur toile les tournaient dans tous les sens parce qu’ils ne voyaient pas de visages représentés. Par bonheur, on ne sortira jamais du casse-tête de la représentation. Les Shadoks sévissaient bien avant d’apparaître à l’écran. D’ailleurs, je pense à ta série de photographies, je ne la trouve pas immédiatement sur ton site, où sur chacune trône un noir qui est comme un point aveugle appliqué à l’optique, d’abord il y a le noir et puis le monde alentour. Comment t’y prenais-tu ?

EW : Avant de répondre à ta question je voudrais revenir sur les mots. Il se trouve qu’au début du confinement j’étais en train de travailler sur une communication pour le colloque organisé par Garance Dor (où tu devais intervenir également). Après plusieurs propositions sur Weiner, Fluxus et autres démarches du genre, j’ai proposé de travailler sur des scripts qui ne soient pas des textes, mais plutôt des images. Des dessins pour être précis. Mon idée de départ, c’était les petits dessins au trait qu’Erwin Wurm fait parfois sur les objets à manipuler pour ses One minute sculptures. Ces petites actions absurdes m’ont tout de suite fait penser au tableau de Brueghel intitulé les proverbes flamands. Ce qui me fascine dans ce tableau, en dehors de la prolifération hallucinante de situations et de personnages, c’est qu’il était précisément adressé aux gens qui ne savent pas lire (c’est-à-dire tout le monde à l’époque). Je voyais dans cette prouesse de Brueghel, une solution aux problèmes de traduction d’un Weiner par exemple. Traduction de l’anglais au français (ou à l’allemand ou autre), mais surtout traduction de la sculpture aux mots. Alors pourquoi pas des images ?

Ensuite, je te trouve vraiment très optimiste envers les mots : ils disparaissent aussi bien que le reste. Autre inconvénient des mots, ils sont incapables de redonner la totalité d’une expérience (esthétique ou autre). Ils sont à la fois incroyablement puissants et incroyablement faibles.

Personnellement j’ai une fascination pour toute une série de démarches qui se passent très bien de mots : l’art pariétal, les arts « premiers » en général, l’art brut, les graffitis de chiottes, etc. le champ est vaste. Mais je te laisse répondre là-dessus.

Maintenant, en ce qui concerne la série avec les taches noires, ce sont des photos que j’ai faites l’année dernière. Le procédé est assez simple. Lors d’une marche, en forêt généralement, je cherche les branches basses et horizontales. Je place l’objectif de mon téléphone le plus près possible de la pointe de la branche, face à elle. D’une certaine manière, c’est la branche qui me montre vers où je dois photographier et qui m’empêche de le faire, puisqu’elle cache une partie de l’objectif : une image empêchée par ce qu’elle vise.

J-BF : Tu as raison, les mots eux aussi disparaissent ! Ce couper court en est la preuve. Me vient alors une nouvelle question : faut-il faire le tri dans cet entretien ? Couper ? Ou choisirons-nous de tout garder, et pourquoi, dans ce cas ? Faut-il même penser à l’éditer ? Si oui, dans quelle mesure constitue-t-il une supplémentation ?

EW :

[1] Étrangement, c’est pourtant moi qui pose la première question. Je suis dans l’incapacité de me rappeler pourquoi.

[2] C’est notre éditeur d’alors, Galaad Prigent, auquel nous devons tous deux beaucoup, qui nous a fait nous rencontrer.

[3] Édifice sépulcral dans les parois duquel étaient pratiquées des niches destinées à contenir les urnes cinéraires.

[4] Qui sert d’exemple, de type, de norme.

[5] Yona Friedman, L’architecture de survie, Une philosophie de la pauvreté.

[6] Brian O’Doherty, « Postface : 1986 », dans White Cube, L’espace de la galerie et son idéologie.

[7] La Licence Art Libre est une licence qui applique le principe du Copyleft à la création artistique et au-delà, pour toutes productions de l’esprit régies par le droit d’auteur. Voir : https://artlibre.org/

[8] Voir : http://www.monotonepress.net

[9] Est-il important de mentionner que les Yesmen sont des artistes, au vu de ce qu’ils font, pour prendre une référence un petit peu dépassée. Et plus largement, dans quel but nomme-t-on ?

[10] Stéphane Mallarmé, « L’action restreinte », dans Divagations (1897), source gallicalabs.bnf.fr, Bibliothèque nationale de France.

[11] IKHÉ©ASERVICE N° 28 dont le mode d’emploi consiste à reproduire ou poursuivre des ouvrages méritoires en les affaiblissant. « Empirer, soit refaire ou poursuivre, en très très moins bien ». Voir Des modes d’emploi et des passages à l’acte, Riot éditions, p. 72-73 : https://riot-editions.fr/ouvrage/dmd-dpal/

[12] Voir : http://www.lapetitelibrairie.net/zedele/Livres-extraits/bloc.pdf

[13] https://williambennett.blogspot.com/2013/03/statement.html

[14] « Il n’y a point d’utilité, ni de plaisir, à jouer à jeu découvert. » : https://beq.ebooksgratuits.com/Philosophie/Gracian-cour.pdf

[15] C’est ainsi que mon grand-père appelait la pacotille (qu’il adorait).

[16] Gustav Metzger, Writings, 2019.

[17] Brecht c’est pire : les objets sont quand même moins forts, moins perturbants. D’un autre côté son abandon plus clair.

[18] Voir : https://www.switchonpaper.com/societe/contre-culture/chroniques-de-la-soustractionepisode-8-scenes-de-la-destruction-ordinaire/

[19] Voir : https://www.ericwatier.info/articles/a-propos-de-linventaire-des-destructions/

[20] Clément Rosset, Le principe de cruauté, « Introduction », Minuit.

[21] Voir : https://riot-editions.fr/beaucoup-plus-de-moins/

[22] « Fusées », Baudelaire, Pléiade.

[23] Voir : http://stella.atilf.fr/Dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=3158528430 :

« Lieu ou assemblée où l’on parle sans se comprendre et où, par conséquent, aucun accord, aucune entente n’est possible », ou encore « … ces programmes iniques que l’orgueil démocratique et le patriotisme bourgeois élevèrent comme les Babels de la cuistrerie ».

[24] Voir : https://theses.hal.science/tel-04021612

[25] L’Esprit des Formes ? Voir : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6447535c/f15.item