#7 – Janvier / January 2025
Antoine Moreau
la Peinture de peintres
Je propose à des peintres de se peindre les uns par-dessus les autres sur une toile de 0,88 m/1,01 m. Cette peinture n’aura pas de fin, pas d’image arrêtée. C’est la peinture sans fin par la fin de la peinture. Chaque couche de peinture d’un peintre différent fait disparaitre, entièrement ou en partie, la couche précédente. Des traces photo témoignent des peintures et un certificat d’authenticité est rédigé par Ghislain Mollet-Viéville, agent d’art.
Ce n’est pas une compilation de mes goûts en peinture, ni une collection de peintres. C’est une peinture de peintres qui se réalise sans programme a priori mais au fil du temps et des rencontres.
Certificat de Ghislain Mollet-Viéville pour la peinture de Laurent Marissal
À cette date d’octobre 2024, la peinture visible est celle de Laurent Marissal. Elle a été réalisée le 3 juillet 2024 sur celle de Gilles Elie qui fut peinte en décembre 2023.
Voici la liste complète des peintures de peintres (ordre chronologique) :
Au départ de mes tentatives de peintre, début des années 80, je n’étais pas satisfait de ma propre peinture et c’est en proposant une toile à peindre à des peintres de rencontre que j’ai trouvé satisfaction. J’avais trouvé une façon de peindre, sans peindre. J’appelais cette peinture la Peinture de peintres.
Les peintres peignent gracieusement. Ce n’est pas « gratuit », la peinture demande de l’effort, du temps et de l’amitié. La peinture qui se réalise sur la Peinture de peintres procède de la beauté du geste. Elle est le fruit d’une rencontre. Dans certains cas j’ai pu provoquer la rencontre, la plupart du temps c’est la rencontre qui provoque la peinture.
Visible est mon intention de créer une peinture commune par un commun de peintres. Non pas une « communauté », ceci impliquerait que les peintres co-existent les uns avec les autres comme dans un cadavre exquis offrant une image commune. Ce n’est pas le cas : les peintres existent en rapport les uns avec les autres comme un tout où chaque peinture en recouvre une autre pour être recouverte et de disparaître ensuite sous la couche d’un prochain peintre. Peindre à perte, à perte de vue.
Recouvrir ici veut dire recouvrer. Comme on recouvre la vue. Le peintre achève la peinture qu’il recouvre en même temps qu’il parachève la sienne. Il n’y a pas d’anéantissement, ni de négation de ce qui a été fait, mais bien l’affirmation d’une peinture qui se fait par négation de la négation.
Il s’agit pour moi d’emprunter la voie décréatrive de l’art c’est-à-dire, selon Simone Weil, « faire passer le créé dans l’incréé ». La dépossession de leur peinture par les peintres, peintures après peintures, mets en jeu, outre l’amitié qu’ils et elles me témoignent, une prise de risque, une capacité à « peindre à tombeau ouvert ».
Je prévois qu’après la disparition de son inventeur, votre serviteur, un atelier soit dédié à la Peinture de peintres de façon à ce que l’œuvre se fasse post-mortem avec tout le matériel de peinture nécessaire.
La Peinture de peintres est ouverte qui ne se referme jamais.
A. M., octobre 2024
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Photos Antoine Moreau, copyleft Licence Art Libre https://artlibre.org